Le nid d’aigle
Termes, automne 1210.
Depuis six semaines, Montfort est en fâcheuse posture sous les remparts de Termes, qui surplombent des gorges vertigineuses au fond desquelles résonne le fracas des torrents.
Raimond de Termes, totalement acquis à l’Hérésie, a accueilli dans son refuge plusieurs dizaines de Bons Hommes. Cousin de Guillaume de Minerve, récemment vaincu, et instruit par la défaite de son parent comme par celle de Trencavel à Carcassonne, il s’est préparé à résister à l’armée croisée : toutes les citernes sont pleines. La forteresse est gorgée de vivres et de réserves d’eau.
Montfort a fait appel au meilleur ingénieur, frère Guillaume, chapelain de Paris, un homme passionné par les machines de siège. Malgré toute sa science, il a le plus grand mal à les asseoir sur les pentes. Les blocs qu’elles projettent reviennent souvent en avalanches de pierres sur les assiégeants. Chaque jour, des Croisés plient bagage lorsque leur quarantaine est accomplie. Sans se soucier du siège infructueux, ils redescendent dans la plaine pour prendre la route du retour. Les troupes qui repartent ou celles qui montent pour les relever sont exposées aux embuscades des hommes de Pierre Roger de Cabaret. Le chemin est périlleux, longeant des ravins insondables, par des sentiers étroits et escarpés, surplombés par des rochers en équilibre au-dessus du vide. Les hommes du pays guident les chevaliers faidits qui harcèlent les groupes de Croisés, les précipitent dans un gouffre ou les capturent pour leur infliger des mutilations atroces. Montfort perd plus de soldats dans l’acheminement des troupes que dans les opérations du siège.
En bas, à Carcassonne, Guillaume de Contres, à qui l’usurpateur a confié le soin de garder la cité, a toutes les peines du monde pour mettre en route les renforts. Les hommes sont effrayés à l’idée de s’engager dans cette escalade infernale où la mort les guette derrière chaque rocher.
En haut, Montfort ne veut pas lâcher prise. Pour faire honte aux barons qui envisagent de l’abandonner, il appelle à ses côtés sa femme Alix, dont l’exemple ne suffira pas à retenir Robert de Dreux, le comte de Ponthieu ou l’évêque de Beauvais. Seuls l’évêque de Chartres et le fidèle Guy de Lévis demeurent avec Montfort Celui-ci espère que la soif va faire une nouvelle fois son œuvre, comme à Carcassonne ou à Minerve.
Les semaines passent… Cette année, l’automne est aussi chaud et sec que l’été. Les citernes du château sont épuisées. Raimond de Termes avait pourtant prévu d’abondantes provisions afin de ne pas être pas au même piège que Trencavel l’an dernier ou Guillaume de Minerve en juillet. Mais aurait-il pu imaginer qu’il ne pleuvrait pas avant novembre ?
Un soir, il décide d’en finir. Il envoie une ambassade annoncer à Simon de Montfort qu’il est prêt à discuter dès le lendemain des conditions de la reddition.
Et soudain, dans la nuit, le ciel se crève pour déverser un déluge providentiel et interminable. Les citernes se remplissent Raimond de Termes ne capitule plus. Coiffé de son casque d’or, il vient narguer les Croisés du haut des remparts battus par les vents et la pluie.
Le froid s’installe et la pluie devient neige. L’eau ne manque plus aux assiégés, mais le pain manque aux assiégeants coupés de Carcassonne, car les intempéries rendent le site inaccessible. Une maigre troupe démoralisée entoure Montfort et Alix, dont la situation est désespérée.
À Toulouse, nous sommes informés jour après jour. Nous espérons déjà la mort du chef de la croisade, enseveli sous les neiges des Pyrénées…
Une nuit, les guetteurs du camp croisé sont alertés par un remue-ménage autour du rempart de Termes. Ils donnent l’alarme et se jettent sur les défenseurs qui tentaient de fuir à travers les montagnes, à la faveur de l’obscurité. Les soldats n’ont plus la force de se battre. Ils sont tués sur place. Raimond de Termes, qui se trouve au milieu d’eux, est capturé.
Pendant la sécheresse, des animaux épuisés sont tombés au fond des citernes. Après les pluies leurs charognes avaient empoisonné l’eau et tous les assiégés étaient frappés de flux de ventre. La garnison épuisée avait alors tenté de s’échapper avec le maître des lieux.
Montfort l’envoie aussitôt finir ses jours aux fers dans les cachots de Carcassonne.